Obama, un nouveau Ciceron ?

Sources des commentaires introductifs : libre traduction et synthèse d’articles de Douglas Brinkley, historien présidentiel et professeur à l'Université Rice, de Jeffrey Fleishman, écrivain et longtemps correspondant étranger Los Angeles Times, et de Christophe de Voogd maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris,

Barack Obama est l'un des grands orateurs de l'histoire américaine. Il a une connaissance instinctive et intuitive de l’arrangment des mots, comment les tourner et les lier, comment les soulever et les faire retomber sur des rythmes précis avec une fioriture contenue. Il capte avec une remarquable effficacité l’imaginaire de son auditoire avec une floraison de figure réthorique : allitérations, anaphores, et un goût prononcé pour la métonymie.

L'un de ses discours les plus mémorables « Une union plus parfaite » - a été prononcé lors de sa campagne de 2008 après la publication d'extraits de sermons de son pasteur et ami Jeremiah Wright. Wright, qui est également noir, blamant les États-Unis pour son racisme et son traitement des Amérindiens.

Obama a été invité à désavouer Wright. Il a ensuite quitté l'église du pasteur à la suite d'autres de ses déclarations controversées. Mais il a d'abord répondu par des commentaires que seul un homme de son milieu aurait pu prononcer, des mots qui englobaient non seulement l'histoire américaine mais aussi sa propre vie dans cette histoire plus large, souvent troublante :

« Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, une femme qui a fait tant de sacrifices pour moi, une femme qui m'aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’avouait sa peur des noirs qu’elle croisait dans la rue et qui, plus d'une fois, j’ai entendu faire des remarques racistes qui m'ont fait froid dans le dos.  Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime. »

Pour la version anglaise voir : https://www.huffpost.com/entry/obama-race-speech-read-th_n_92077


Traduction de Didier Rousseau et de Françoise Simon
Ammon & Rousseau Translations, New York

« Nous le peuple, dans le but de former une union plus parfaite… ».

Il y a deux cent vingt et un ans, un groupe d'hommes s’est rassemblé dans une salle qui existe toujours de l'autre côté de la rue, et avec ces simples mots, lança l'improbable aventure de la démocratie américaine.

Agriculteurs et savants, hommes politiques et patriotes qui avaient traversé l’océan pour fuir la tyrannie et les persécutions, donnèrent enfin forme à leur déclaration d’indépendance lors d’une convention qui siégea à Philadelphie jusqu’au printemps 1787.

Ils finirent par signer, bien qu'inachevé, le document qu’ils avaient rédigé. Ce document portait le stigmate du péché originel de l’esclavage, un problème qui divisait les colonies et fit presque échouer les travaux de la convention. Les pères fondateurs décidèrent de permettre le trafic des esclaves pendant encore au moins vingt ans et de laisser aux générations futures le soin d’achever ce qu’ils avaient commencé.

Bien sur, la réponse à la question de l’esclavage était déjà en germe dans notre constitution, une constitution dont l’idéal d’égalité des citoyens devant la loi est le cœur, une constitution qui promettait à son peuple la liberté et la justice, et une union qui pouvait et devait être perfectionnée au fil du temps.

Et pourtant des mots sur un parchemin ne suffirent ni à libérer les esclaves de leurs chaînes ni à donner aux hommes et aux femmes de toute couleur et de toute croyance leurs pleins droits et devoirs de citoyens des Etats-Unis

Des générations d’Américains, l’une après l’autre, devaient encore combattre dans une guerre civile, protester dans les tribunaux, manifester dans la rue en prenant de grands risques et mener une campagne de désobéissance civile pour réduire l'écart entre la promesse de nos idéaux et la réalité de leur temps.

C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de cette campagne —continuer la longue marche de ceux qui nous ont précédé, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus généreuse et plus prospère.

J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que ne nous pouvons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que nous ne pouvons parfaire l’union que si nous comprenons bien qu’ayant tous une histoire différente nous partageons pourtant de mêmes espoirs, que nous ne sommes certes pas tous pareils et que nous venons de biens des endroits, mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants.

Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la dignité du peuple Américain. Elle me vient aussi de ma propre histoire d'Américain. Je suis le fils d'un noir du Kenya et d'une blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s'est engagé dans l'armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale, et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers quand son mari était en Europe.

J’ai fréquenté les meilleures écoles d'Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles.

J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n'oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays.

C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs, nous ne faisons qu’un.

Tout au long de cette première année de campagne, envers et contre tous les pronostics, nous avons constaté à quel point les Américains avaient faim de ce message d'unité.

Bien que l’on soit tenté de juger ma candidature sur des critères purement raciaux, nous avons remporté des victoires impressionnantes dans les états les plus blancs du pays. En Caroline du Sud, où flotte encore le drapeau des Confédérés, nous avons construit une coalition puissante entre afro-Américains et Américains blancs.

Cela ne veut pas dire que l'appartenance raciale n'a joué aucun rôle dans la campagne. A plusieurs reprises au cours de la campagne, des commentateurs m’ont trouvé ou « trop noir » ou « pas assez noir ».

Nous avons vu des tensions raciales remonter à la surface dans la semaine qui a précédé les primaires de la Caroline du Sud. Les médias ont épluché chaque résultat partiel, à la recherche de tout indice de polarisation raciale, pas seulement entre noirs et blancs mais aussi entre noirs et bruns.

Et pourtant ce n’est que ces deux dernières semaines que la question raciale est devenue un facteur de division.

D’un côté on a laissé entendre que ma candidature était en quelque sorte un exercice de discrimination positive, basé seulement sur le désir de libéraux candides d’acheter à bon marché la réconciliation raciale.

D’un autre côté, on a entendu mon ancien pasteur, le pasteur Jeremiah Wright exprimer dans un langage incendiaire des opinions qui risquent non seulement de creuser le fossé entre les races mais aussi de porter atteinte à ce qu’il y a de grand et de bon dans notre pays qui, à juste titre choque blancs et noirs confondus.

J’ai déjà condamné sans équivoque aucune, les déclarations si controversées du pasteur Wright. Il reste des points qui en dérangent encore certains.

Est-ce que je savais qu’il pouvait à l’occasion dénoncer avec virulence la politique américaine intérieure et étrangère ? Bien sûr. M’est-il arrivé de l’entendre dire des choses contestables quand j’étais dans son église ? Oui. Est-ce que je partage toutes ses opinions politiques ? Non, bien au contraire ! Tout comme j’en suis sûr beaucoup d’entre vous entendent vos pasteurs, prêtres ou rabbins proférer des opinions que vous êtes loin de partager.

Mais les déclarations à l’origine de ce récent tollé ne relevait pas seulement de la polémique.
Elles n’étaient pas que l’indignation d’un leader spirituel dénonçant les injustices ressenties.

Elles reflétaient plutôt une vue profondément erronée de ce pays —une vue qui voit du racisme blanc partout, une vue qui met l'accent sur ce qui va mal en Amérique au plutôt que sur ce qui va bien. Une vue qui voit les racines des conflits du Moyen-Orient essentiellement dans les actions de solides alliés comme Israël, au lieu de les chercher dans les idéologies perverses et haineuses de l'Islam radical.

Le pasteur Jeremiah Wright ne fait pas que se tromper, il sème la discorde à un moment où nous devons trouver ensemble des solutions à nos énormes problèmes : deux guerres, une menace terroriste, une économie défaillante, une crise chronique du système de santé, un changement climatique aux conséquences désastreuses. Ces problèmes ne sont ni noirs ni blancs, ni hispaniques ni asiatiques mais ce sont des problèmes qui nous concerne tous.

Au vu de mon parcours, de mes choix politique et des valeurs et idéaux auxquels j’adhère, on dira que je ne suis pas allé assez loin dans ma condamnation. Et d’abord pourquoi m’être associé avec le pasteur Jeremiah Wright, me demandera-t-on ? Pourquoi ne pas avoir changé d’église ?

Je conviens volontiers que si tout ce que je savais du pasteur Wright se résumait aux bribes de sermons qui passent en boucle à la télévision et sur YouTube, ou si la Trinity United Church of Christ ressemblait aux caricatures colportées par certains commentateurs, j’aurais réagi de même.

Mais le fait est que ce n’est pas tout ce que je sais de cet homme. L’homme que j’ai rencontré il y a plus de vingt ans est l’homme qui m’a éveillé à ma foi. Un homme pour qui aimer son prochain, prendre soin des malades et venir en aide aux miséreux sont des devoirs.

Voilà un homme qui a servi dans les Marines, qui a étudié et enseigné dans les meilleures universités et séminaires et qui, depuis plus de trente ans, à la tête d’une église au service de sa communauté, accomplit l’œuvre de Dieu sur Terre : il loge les sans-abris et secourt les nécessiteux, il ouvre des crèches et attribue des bourses d’études, il rend visite aux prisonniers et réconforte les séropositifs et les malades atteints du sida.

Dans mon livre, Les Rêves de mon père, je décris mes premières impressions de l’église de la Trinity.

« Les gens se mirent à hurler, à se lever, à battre des mains et à pousser des cris. Un souffle puissant porte la voix du révérend jusque dans les charpentes. Et dans la scansion de cette note unique —l’espoir ! — je perçois autre chose : au pied de la même croix, dans des milliers d’église à travers la ville, je comprends que les histoires de tous ces gens se fondent avec l’histoire de David et Goliath, de Moïse et de Pharaon, du champ d’os secs d’Ezékiel et des chrétiens dans la fosse aux lions.

Ces histoires —de survie, de liberté et d’espoir— c’est mon histoire, c’est notre histoire, le sang versé, c’est mon sang, notre sang, ces larmes, nos larmes, et cette église noire, en ce jour de radieux, me paraît comme une nef qui emporte dans ses flancs l’histoire d’un peuple vers les générations futures du monde entier.

Nos épreuves et nos triomphes sont singuliers et universels, ils sont noirs, mais pas seulement noirs ; les récits et chants qui sont la chronique de notre voyage nous rendent une mémoire enfin déchargée de honte […] une mémoire que tous nous pouvons embrasser et chérir et sur laquelle nous pouvons commencer à rebâtir.

Telle a été ma première expérience à Trinity. Comme beaucoup d’églises majoritairement noires, Trinity est un microcosme : on y voit le médecin et la maman au chômage, l’étudiant modèle et le voyou repenti.

Comme toutes les autres églises noires, les services religieux de Trinity résonnent de rires tapageurs et de plaisanteries truculentes. Et ça danse, et ça tape des mains, ça crie et ça hurle ; ce qui peut paraître incongru au nouveau venu

Dans l’église le tendre et le cruel se côtoient ; l’intelligence l’extrême voisine avec l’ignorance crasse ; les défaites sont à côté des victoires ; et si l'amour est bien là, l'amertume aussi, nourrie des préjugés qui sont la somme de l’expérience noire en Amérique.

Et cela explique sans doute mes rapports avec le pasteur Wright. Si imparfait soit-il, je le considère comme un membre de ma famille. Il a raffermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants.

Jamais dans mes conversations avec lui ne l’ai-je entendu parler d’un groupe ethnique en termes péjoratifs ou traiter les Blancs dans mon entourage autrement qu’avec courtoisie et respect. Il porte en lui les contradictions — le bon et le mauvais— de la communauté qu’il sert sans s'épargner depuis tant d’années.

Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, une femme qui a fait tant de sacrifices pour moi, une femme qui m'aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’avouait sa peur des noirs qu’elle croisait dans la rue et qui, plus d'une fois, j’ai entendu faire des remarques racistes qui m'ont fait froid dans le dos.

Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime.

D'aucuns verront ici une tentative de justifier ou d’excuser des propos tout à fait inexcusables. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien. Je suppose qu’il serait plus prudent, politiquement, de continuer comme si de rien n'était, en espérant que toute l’affaire sera vite oubliée.

Nous pourrions faire peu de cas du pasteur Wright, et ne voir en lui qu’un excentrique ou un démagogue, et le traiter, comme on l’a fait pour Geraldine Ferraro à la suite à ses déclarations récentes, de raciste primaire.

Mais je crois que la question raciale est un sujet que notre pays ne peut plus se permettre d’ignorer. Nous commettrions la même erreur que le pasteur Wright dans ses sermons choquants sur l'Amérique —en simplifiant, en recourant à des stéréotypes et en accentuant les côtés négatifs au point de déformer la réalité.

Les propos qui ont été tenus et les problèmes qui on été soulevés ces dernières semaines révèlent bien des aspects du problème racial que n’avons jamais vraiment explorés. Ils rappellent que notre union demeure très imparfaite.

Et si nous abandonnons maintenant pour revenir tout simplement à nos positions respectives, nous n'arriverons jamais à nous unir pour surmonter ensemble les défis que sont l'assurance maladie, l'éducation ou la création d'emplois pour chaque Américain.

Pour comprendre cet état de choses, il faut se rappeler comment on en est arrivé là. Comme l’a écrit William Faulkner « Le passé n’est pas mort et enterré. En fait il n’est même pas passé. » Nul besoin ici de réciter l’histoire des injustices raciales dans ce pays.

Un grand nombre de disparités qui existent dans la communauté afro-américaine d’aujourd’hui proviennent en droite ligne des inégalités transmises par la génération précédente qui a souffert de l'héritage brutal de l'esclavage et de Jim Crow.

La ségrégation à l’école a produit et produit encore des écoles inférieures. Cinquante ans après Brown vs The Board of Education, rien n’a changé et la qualité inférieure de l’éducation que dispensent ces écoles explique en partie les écarts de réussite entre les étudiants blancs et noirs d’aujourd’hui.

La légalisation de la discrimination —des noirs qu’on empêchait, souvent par des méthodes violentes, d'accéder à la propriété, des crédits que l’on accordait pas aux entrepreneurs afro-américains, des propriétaires noirs qui n'avaient pas droit aux prêts du FHA, des noirs exclus des syndicats ou du corps de la police ou des brigades de pompiers, a fait que les familles noires n’ont jamais pu accumuler un capital conséquent à transmettre aux générations futures.

Cette histoire explique la disparité de fortune et de revenus entre noirs et blancs et la concentration des poches de pauvreté qui persistent dans tant de communautés urbaines et rurales d’aujourd’hui.

Le manque de débouchés parmi les noirs, la honte et la frustration de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille ont contribué à la désintégration des familles noires —un problème que la politique d’aide sociale pendant des années a peut être aggravé. Le manque de service publics de base dans tant de quartiers noirs —l’absence d’aires de jeux pour les enfants, de patrouilles de police, de ramassage régulier des ordures et l’ignorance des codes d'urbanisme, tout cela a crée un cycle de violence, de gâchis et de négligences qui continue de nous hanter.

C'est dans ce monde que le pasteur Wright et d’autres afro-Américains de sa génération ont grandi. Ils sont devenus adultes à la fin des années 50 et au début des années 60, époque ou la ségrégation était encore en vigueur et les perspectives d'avenir systématiquement réduites.

Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas le nombre de ceux qui ont renoncé à cause de la discrimination mais plutôt celui de ceux ont réussi à surmonter les obstacles et su ouvrir la voie à ceux qui, comme moi, devaient leur emboîter le pas.

Mais pour si beaucoup ont bataillé dur pour se tailler une part du Rêve Américain, beaucoup ont échoué, vaincus, d’une façon ou d'une autre, par la discrimination.

L’expérience de l'échec a été légué aux générations futures : ces jeunes hommes et, de plus en plus, ces jeunes femmes, que l'on voit désœuvrés aux coins des rues ou croupir au fond des prisons, dépourvus d’espoir. Même pour ces noirs qui s'en sont sortis, les questions de race et de racisme continuent de définir fondamentalement leur vision du monde.

Pour les hommes et les femmes de la génération du pasteur Wright, la mémoire de l’humiliation, de la précarité et de la peur n’a pas disparu, pas plus que la colère et l’amertume de ces années.

Cette colère ne s’exprime peut être pas en public, devant des collègues blancs ou des amis blancs. Mais elle trouve une voix chez le coiffeur ou autour de la table familiale. Parfois cette colère est exploitée par les hommes politiques qui veulent jouer la carte raciale ou couvrir leur incompétence.

Et il lui arrive aussi de trouver une voix, le dimanche matin à l’église, du haut de la chaire ou dans les bancs des fideles. Le fait que tant de gens soient surpris d’entendre cette colère dans certains sermons du pasteur Wright confirme que c’est bien à l’office du dimanche matin que la ségrégation est la plus évidente.

Cette colère n’est pas toujours une arme efficace. En effet, bien trop souvent, elle nous détourne de nos vrais problèmes, elle nous empêche d’accepter que nous sommes complices de notre condition, et elle empêche la communauté afro-américaine de nouer les alliances indispensables à un changement véritable

Mais cette colère est réelle et elle est puissante, et souhaiter qu’elle disparaisse, la condamner sans en comprendre les racines, ne fait que creuser plus le fossé d’incompréhension qui existe entre les deux races.

En fait, il existe une colère similaire dans certaines parties de la communauté blanche. La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n'ont pas l’impression d’avoir été spécialement favorisés à cause de leur appartenance raciale.

Leur expérience, c’est une expérience d’immigrant —ils n’ont hérité de personne, ils sont partis de rien. Ils ont trimé dur toute leur vie, souvent pour voir leurs emplois délocalisés et leurs retraites partir en fumée.

Ils sont inquiets pour leur avenir, ils voient leurs rêves s’évanouir ; à une époque de stagnation des salaires et de concurrence mondiale, les chances de s’en sortir deviennent comme un jeu de somme nulle : vos rêves ne peuvent se réaliser qu’au dépend des miens.
Alors, quand on leur dit que leurs enfants sont affectés à une école à l’autre bout de la ville, quand on leur dit qu’un afro-Américain qui décroche un bon job ou une place dans une bonne faculté, bénéficie d’un traitement privilégié pour réparer une injustice qu’ils n’ont pas commise, quand on leur dit que leur peur de la délinquance dans les quartiers est une forme de préjugé, alors la rancœur s'accumule au fil du temps.

Comme la colère au sein de la communauté noire qui ne s’exprime pas en public, ces choses qui fâchent ne se disent pas non plus. Mais elles affectent le paysage politique depuis au moins une génération.

C’est la colère envers la politique d’assistance de l’Etat-Providence et la politique de discrimination positive qui a donné naissance à la coalition Reagan. Les hommes politiques ont systématiquement exploité la peur de l’insécurité à des fins électorales. Les présentateurs des talk-shows et les analystes conservateurs se sont bâti des carrières en exploitant des affaires de racisme bidonnées tout en évitant tous débats pertinents sur les injustices et les inégalités raciales sous prétexte du politiquement correct et de la discrimination à rebours.

Tout comme la colère noire s’est souvent avérée contre-productive, la rancœur des blancs nous a aveuglés sur les vrais causes de l’étranglement de la classe moyenne : une culture d’entreprise où les délits d'initiés, les pratiques comptables douteuses et la course aux gains rapides sont monnaie courante ; une capitale sous l'emprise des lobbies et des groupes de pression, une politique économique au service d'une minorité de privilégiés.

Et pourtant, ignorer cette rancœur des blancs, la qualifier d’inappropriée, voire de raciste, sans reconnaitre qu’elle peut avoir des causes légitimes —voila aussi qui contribue à élargir le clivage racial et à faire que l’on n'arrive pas à se comprendre.

Voilà où nous en sommes actuellement : incapables depuis des années de nous extirper de l'impasse raciale. Contrairement aux dires de certains de mes critiques, blancs ou noirs, je n'ai jamais eu la naïveté de croire que nous pourrions régler nos différends raciaux en l'espace de quatre ans ou avec une seule candidature qui, plus est, une candidature aussi imparfaite que la mienne.

Mais je dis ma conviction profonde—une conviction ancrée dans ma foi en Dieu et ma foi dans le peuple américain—qu’en travaillant ensemble nous arriverons à panser nos vieilles blessures raciales parce que nous n’avons plus le choix si nous voulons continuer d’avancer dans la voie d’une union plus parfaite.

Pour la communauté afro-américaine, cela veut dire accepter le fardeau du passé sans devenir victimes du passé, cela veut dire continuer à exiger une vraie justice dans tous les aspects de la vie américaine.

Mais cela veut dire aussi associer nos revendications propres –meilleure assurance maladie, meilleures écoles, meilleurs emplois —aux aspirations de tous les Américains, qu’il s’agisse de la blanche qui a du mal à « percer le plafond de verre », du blanc qui a été licencié ou de l'immigrant qui veut mettre de la nourriture sur la table.
Cela veut dire aussi assumer pleinement nos responsabilités dans la vie — en exigeant davantage de nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants et en leur faisant la lecture, en leur apprenant que même s'ils sont en butte aux difficultés et à la discrimination, ils ne doivent jamais succomber au désespoir et au cynisme : ils doivent toujours croire qu’ils peuvent choisir leur destinée.

L’ironie, c’est que cette notion si fondamentalement américaine –et oui, conservatrice—de l’effort personnel, on la retrouve souvent dans les sermons du pasteur Wright. Mais ce que mon ancien pasteur n’a pas compris, c’est que pour tenter l’expérience de l’effort personnel, il faut croire que la société peut changer.

La grave erreur du pasteur Wright, ce n’est pas d’avoir parlé du racisme dans notre société, mais d’en avoir parlé comme si rien n'avait changé dans notre société, comme si nous n'avions pas déjà fait de progrès, comme si ce pays —un pays ou un noir peut être candidat au poste suprême et construire une coalition de blancs et de noirs, d'hispaniques et d'asiatiques, de riches et de pauvres, de jeunes et de vieux— était encore prisonnier de son tragique passé.

Mais ce que nous savons – ce que nous avons vu—c’est que l’Amérique peut changer. C’est là le vrai génie de cette nation. Ce que nous avons déjà accompli nous donne de l’espoir —l’audace d’espérer —pour ce que nous pouvons et nous devons accomplir demain.

Pour ce qui est de la communauté blanche, la voie vers une union plus parfaite veut dire reconnaitre que ce qui fait souffrir la communauté afro-américaine n’est pas le produit de l’imagination des noirs ; que l’héritage de la discrimination —et les épisodes actuels de discrimination, encore que moins manifestes que par le passé, sont bien réels et doivent être combattus.

Non seulement par des mots, mais par des actes —en investissant dans nos écoles et nos communautés ; en faisant respecter les droits civils et en garantissant une justice pénale plus équitable ; en donnant à cette génération les moyens de s'en sortir, ce qui faisait défaut aux générations précédentes.

Il faut que tous les Américains comprennent que leurs rêves ne se réalisent pas forcement au détriment de ceux des autres et qu'investir dans la santé, les programmes sociaux et l'éducation des enfants noirs, bruns et blancs, contribue à la prospérité de tous les Américains.

En fin de compte, ce que l’on attend de nous, ce n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent —que nous nous conduisions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se conduisent envers nous. Soyons le gardien de notre frère, nous disent les Ecritures. Soyons le gardien de notre sœur. Trouvons ensemble cet enjeu commun qui nous soude les uns aux autres, et que notre politique reflète l'esprit de ce projet aussi.

Car nous avons un choix à faire dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui engendre les divisions intercommunautaires, les conflits et le cynisme. Nous pouvons aborder le problème racial en voyeurs —comme pendant le procès de P.J. Simpson —sous un angle tragique, comme nous l’avons fait après Katrina— ou encore comme pâture pour les journaux télévisés du soir.
Nous pouvons exploiter la moindre bavure dans le camp d’Hillary comme preuve qu’elle joue la carte raciale ou nous pouvons nous demander si les électeurs blancs voteront en masse pour John McCain en novembre, quel que soit son programme politique.

Oui, nous pouvons faire ca.

Mais si nous le faisons, je vous garantis qu’aux prochaines élections nous trouverons un autre sujet de distraction. Et puis un autre. Et puis encore un autre. Et rien ne changera.

C’est une option. Ou bien, maintenant, dans cette campagne, nous pouvons dire ensemble : « Cette fois, non ». Cette fois nous voulons parler des écoles délabrées qui dérobent leur avenir à nos enfants, les enfants noirs, les enfants blancs, les enfants asiatiques, les enfants hispaniques et les enfants indiens.

Cette fois s’en est en assez de ces cyniques qui nous répètent que ces gosses sont incapables d'apprendre, que les enfants de l’Amérique ne sont pas ces gosses-là, que ces gosses qui nous ne ressemblent pas sont les problèmes de quelqu'un d'autre. Mais ces gosses-là sont pourtant bien nos enfants, et nous ne tolérerons pas qu’ils soient laissés pour compte dans la société du vingt-et-unième siècle. Pas cette fois.

Cette fois nous voulons parler des files d’attente aux urgences remplies de blancs de noirs et d’hispaniques qui n’ont pas d’assurance santé, qui ne peuvent pas seuls s’attaquer aux groupes de pression ; ce qu’ils pourront faire si nous nous y mettons ensemble.

Cette fois nous voulons parler des usines qui ont fermé leurs portes et qui ont longtemps fait vivre honnêtement des hommes et des femmes de toute race, nous voulons parler de ces maisons qui sont maintenant à vendre et qui autrefois étaient les foyers d'Américains de toute religion, de toute région et de toute profession.

Cette fois nous voulons dire que le vrai problème ce n’est pas que quelqu’un qui ne vous ressemble pas puisse vous prendre votre boulot, c’est que l’entreprise pour laquelle vous travaillez va délocaliser dans le seul but de faire du profit.

Cette fois, nous voulons parler des hommes et des femmes de toute couleur et de toute croyance qui servent ensemble, qui combattent ensemble et qui versent ensemble leur sang sous le même fier drapeau.

Nous voulons parler de les ramener d’une guerre qui n’aurait jamais due être autorisée et qui n’aurait jamais dû avoir lieu, et nous voulons parler dire notre patriotisme en prenant soin d’eux et de leurs familles et en leur versant les allocations auxquelles ils ont droit.

Je ne me présenterais pas à l’élection présidentielle si je ne croyais pas du fond du cœur que c'est ce que veut l'immense majorité des Américains pour ce pays. Cette union ne sera peut-être jamais parfaite mais on a vu que de génération en génération elle peut toujours le devenir un peu plus.

Et aujourd'hui, quand pris de doute ou tenté par le cynisme, ce qui me redonne le plus d’espoir c’est la génération à venir —ces jeunes dont les attitudes, les croyances et le sincère désir de changement sont entrés dans l’Histoire.

Avant de vous quitter, il y a une histoire que j’aimerais partager avec vous, une histoire que j’ai eu l’honneur de raconter à l'occasion de la commémoration de Martin Luther King, dans sa paroisse, Ebernerez Baptiste, à Atlanta.

Une jeune blanche de 23 ans, du nom d’Ashley Baia, travaille pour notre campagne à Florence en Caroline du Sud. Depuis le début de cette campagne elle s’est chargée de mobiliser une communauté à majorité afro-américaine ; elle participe un jour à une table ronde où chacun tour à tour raconte son histoire et dit pourquoi il est là.

Et Ashley dit que quand elle avait 9 ans sa maman a eu un cancer et parce qu’elle avait manqué plusieurs jours de travail elle a été licenciée et a perdu son assurance-maladie. Elle a dû se déclarer insolvable et c’est là qu’Ashley s’est décidée à faire quelque chose pour l’aider.

Elle savait que ce qui coûtait le plus cher, c’était d’acheter à manger ; Ashley a convaincu sa mère que ce qu’elle préférait, c’était les sandwichs moutarde-cornichons. C'était ce qu’il y avait de moins cher.

Et c'est ce qu’elle a mangé pendant un an, jusqu'à ce que sa maman aille mieux, et elle a dit à tout le monde à la table ronde que la raison pour laquelle elle s’était engagée c’était pour aider les milliers d’autres enfants du pays qui veulent et qui ont besoin d’aider leurs parents aussi.

Ashley aurait pu agir différemment. Quelqu’un lui a peut être dit a un moment donné que la cause des ennuis de sa mère était les noirs qui, trop paresseux pour travailler, vivaient des allocations sociales, ou les hispaniques qui entraient clandestinement dans le pays. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a cherché des alliés avec qui combattre l’injustice.

Bref, Ashley termine son histoire et demande à chacun pourquoi il s'est engagé dans la campagne. Ils ont tous des histoires et des raisons différentes. Beaucoup qui soulève un problème précis. Et pour finir, c’est le tour de ce vieillard noir qui n’avait encore rien dit.

Et Ashley lui demande pourquoi il est là. Il ne soulève aucun point en particulier. Il ne parle ni de l’assurance maladie ni de l’économie. Il ne parle ni d’éducation ni de guerre. Il ne dit pas qu’il est venu à cause de Barack Obama. Il dit tout simplement : « Je suis ici à cause d’Ashley. »

« Je suis ici à cause d’Ashley ». A lui seul, ce déclic entre la jeune fille blanche et le vieillard noir, ne suffit pas. Il ne suffit pas pour donner une assurance aux malades, du travail à ceux qui n’en n’ont pas, et une éducation à nos enfants.

Mais c’est par là que tout commence. C’est par là que notre union se renforcera. Et comme tant de générations l’ont compris tout au long des deux cent vingt et une années écoulées depuis que des patriotes ont signé ce document à Philadelphie, c’est là que le travail de perfection commence.

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