La transmission de biens des binationaux français et américains
Les citoyens français et américains bénéficiant de la double nationalité s’interrogent sur le droit applicable aux biens de leur succession. Droit français ou américain ? La situation peut devenir particulièrement compliquée lorsqu’un testateur a des biens situés à la fois en France et aux États-Unis, ou lorsque les héritiers sont de nationalité différente. Comment déterminer le droit successoral appelé à régir la transmission des biens du testateur après son décès?
Avant août 2015
La distinction entre biens meubles et biens immobiliers a longtemps déterminé quel pays était compétent aux yeux de la loi française en matière de transmission des biens du défunt. Selon la loi française, les biens meubles («tout objet matériel pouvant être déplacé; actifs financiers, meubles, voitures, etc.) sont soumis à la juridiction du dernier pays de résidence du défunt tandis que les biens immeubles (« qui par nature ne peuvent pas être déplacés » (immeuble, maison, parcelle de terrain) relèvent du droit du pays où se trouve le bien immobilier[1].
Prenons un exemple. Un citoyen franco-américain résidant à New York (Mme X) possède des biens meubles aux États-Unis (avoirs financiers) et des biens immobiliers en France (biens immobiliers). Si Mme X. décède à New York où elle a sa résidence, alors, conformément à la loi française, ses avoirs financiers relève du droit américain tandis que ses biens immobiliers tombent sous la compétence française.
L’incompatibilité du droit successoral selon la common law et la notion de d’héritier réservataire du code civil français était un problème récurrent. En vertu de la loi préexistante, tous les avoirs situés en France étaient soumis au droit français de la succession et à son système de dévolution. En droit français (art. 913 du code civil), les descendants du défunt ont droit à une part réservée de la succession : la moitié si le défunt ne laisse qu’un enfant décédé, les deux tiers s’il laisse deux enfants et les trois quarts s’il laisse trois enfants ou plus([2]). Les parents ne peuvent pas déshériter leurs enfants. Cela a conduit à des situations où le testament d’un testateur étranger entrait en conflit avec les lois françaises sur la part réservataire applicable à la dévolution des biens en France.
Depuis août 2015
Le règlement (UE) n ° 650/2012) adopté par le Parlement européen en juillet 2012, et en vigueur depuis août 2015, devrait résoudre ce conflit. Le nouveau règlement européen ne distingue plus biens meubles et biens immeubles. Désormais, le règlement de la succession suivra la loi du pays de la résidence habituelle du testateur[3]. Toutefois, un testateur pourra toujours demander à ce que la loi de son pays de citoyenneté (professio juris)[4] s’applique. Par exemple, un citoyen français résidant aux États-Unis pourra indiquer dans son testament américain qu’il souhaite que la loi française dicte la transmission de son patrimoine ou inversement[5].
La bataille juridique en cours sur la succession du chanteur et compositeur français défunt Johnny Hallyday offre un excellent exemple de la complexité du droit successoral international et du risque de conflit entre le droit français et le droit étranger[6]. Les enfants biologiques du rockeur décédé, Laura Smet et David Hallyday, contestent le testament américain de leur père au motif qu’il les déshérite complètement au profit de sa quatrième femme et de ses filles adoptives. Au cœur même du litige, il faut décider si le droit américain ou français est applicable. Bien que la transmission de la succession de Johnny Hallyday relève de la législation américaine parce qu’il résidait en Californie au moment de son décès (conformément au règlement (UE) n ° 650/2012), la législation française, contrairement à la législation californienne, n’autorise pas un testateur pour déshériter ses enfants. Laura Smet et David Hallyday feront donc valoir que le droit américain devrait être écarté au profit du droit français car le testament les priverait du droit de succession automatique ou de la « part réservée » auquel ils ont droit en vertu de l’article 913 du Code civil français. Cependant, la jurisprudence française rendra leur cas difficile. En 2017, la Cour de cassation, la plus haute instance française d’appel civil et pénal, a rendu un arrêt remarquablement similaire mettant en cause un ressortissant français vivant en Californie depuis de nombreuses années et ayant légué tous ses biens à son épouse. Le tribunal a estimé que le défunt en question avait le droit de déshériter ses enfants et que le fait d’exclure la part réservée n’était pas en soi contraire à l’ordre public international français[7].
[1] « DROIT DES SUCCESSIONS : CE QUI CHANGE EN AOÛT 2015 » Paris Notaires, Chambre Des Notaires De Paris, 29 July 2015, www.paris.notaires.fr/actualites/droit-des-successions-ce-qui-change-en-aout-2015.
[2] “General Information – France.” European e-Justice Portal, 13 Feb. 2017,
e-justice.europa.eu/content_general_information-166-fr-maximizeMS_EJN-en.do?member=1.
[3] DROIT DES SUCCESSIONS : CE QUI CHANGE EN AOÛT 2015.” Paris Notaires, Chambre Des Notaires De Paris
[4] Proton, Agnes. “The European Regulation No. 650/2012 Related to International Successions .” America Bar Association, May 2016.
https://www.scribd.com/document/289649004/About-the-EU-Regulation-Related-to-International-and-Cross-Border-Successions
[5] Note that if the French law is elected, French inheritance tax rules will still apply to the devolution of any French estate. If a resident of New York State, the choice of New York law would be advisable since there is no estate tax to be paid for the surviving spouse.
[6] Buthiau, François. “Succession De Johnny Hallyday : Décrypter Les Enjeux Juridiques.” Village De La Justice, 15 Feb. 2018, https://www.village-justice.com/articles/succession-johnny-hallyday-decrypter-les-enjeux-juridiques,27228.html.
[7] Cheytion, Justine. “Forced Heirship and French International Public Policy (Updated as of February 12, 2018).” Soulier AARPI, 12 Feb. 2018, www.soulier-avocats.com/en/forced-heirship-and-french-international-public-policy-updated-as-of-february-12-2018/.c