Juridique

La transmission de biens des binationaux français et américains


Category : Juridique | Date : June 11th, 2019 | Author :

La transmission de biens des binationaux français et américains

Les citoyens français et américains bénéficiant de la double nationalité s’interrogent sur le droit applicable aux biens de leur succession. Droit français ou américain ? La situation peut devenir particulièrement compliquée lorsqu’un testateur a des biens situés à la fois en France et aux États-Unis, ou lorsque les héritiers sont de nationalité différente. Comment déterminer le droit successoral appelé à régir la transmission des biens du testateur après son décès?

Avant août 2015

La distinction entre biens meubles et biens immobiliers a longtemps déterminé quel pays était compétent aux yeux de la loi française en matière de transmission des biens du défunt. Selon la loi française, les biens meubles («tout objet matériel pouvant être déplacé; actifs financiers, meubles, voitures, etc.) sont soumis à la juridiction du dernier pays de résidence du défunt tandis que les biens immeubles (« qui par nature ne peuvent pas être déplacés » (immeuble, maison, parcelle de terrain) relèvent du droit du pays où se trouve le bien immobilier[1].

Prenons un exemple. Un citoyen franco-américain résidant à New York (Mme X) possède des biens meubles aux États-Unis (avoirs financiers) et des biens immobiliers en France (biens immobiliers). Si Mme X. décède à New York où elle a sa résidence, alors, conformément à la loi française, ses avoirs financiers relève du droit américain tandis que ses biens immobiliers tombent sous la compétence française.

L’incompatibilité du droit successoral selon la common law et la notion de d’héritier réservataire du code civil français était un problème récurrent. En vertu de la loi préexistante, tous les avoirs situés en France étaient soumis au droit français de la succession et à son système de dévolution. En droit français (art. 913 du code civil), les descendants du défunt ont droit à une part réservée de la succession : la moitié si le défunt ne laisse qu’un enfant décédé, les deux tiers s’il laisse deux enfants et les trois quarts s’il laisse trois enfants ou plus([2]). Les parents ne peuvent pas déshériter leurs enfants. Cela a conduit à des situations où le testament d’un testateur étranger entrait en conflit avec les lois françaises sur la part réservataire applicable à la dévolution des biens en France.

Depuis août 2015

Le règlement (UE) n ° 650/2012) adopté par le Parlement européen en juillet 2012, et en vigueur depuis août 2015, devrait résoudre ce conflit. Le nouveau règlement européen ne distingue plus biens meubles et biens immeubles. Désormais, le règlement de la succession suivra la loi du pays de la résidence habituelle du testateur[3]. Toutefois, un testateur pourra toujours demander à ce que la loi de son pays de citoyenneté (professio juris)[4] s’applique. Par exemple, un citoyen français résidant aux États-Unis pourra indiquer dans son testament américain qu’il souhaite que la loi française dicte la transmission de son patrimoine ou inversement[5].

La bataille juridique en cours sur la succession du chanteur et compositeur français défunt Johnny Hallyday offre un excellent exemple de la complexité du droit successoral international et du risque de conflit entre le droit français et le droit étranger[6]. Les enfants biologiques du rockeur décédé, Laura Smet et David Hallyday, contestent le testament américain de leur père au motif qu’il les déshérite complètement au profit de sa quatrième femme et de ses filles adoptives. Au cœur même du litige, il faut décider si le droit américain ou français est applicable. Bien que la transmission de la succession de Johnny Hallyday relève de la législation américaine parce qu’il résidait en Californie au moment de son décès (conformément au règlement (UE) n ° 650/2012), la législation française, contrairement à la législation californienne, n’autorise pas un testateur pour déshériter ses enfants. Laura Smet et David Hallyday feront donc valoir que le droit américain devrait être écarté au profit du droit français car le testament les priverait du droit de succession automatique ou de la « part réservée » auquel ils ont droit en vertu de l’article 913 du Code civil français. Cependant, la jurisprudence française rendra leur cas difficile. En 2017, la Cour de cassation, la plus haute instance française d’appel civil et pénal, a rendu un arrêt remarquablement similaire mettant en cause un ressortissant français vivant en Californie depuis de nombreuses années et ayant légué tous ses biens à son épouse. Le tribunal a estimé que le défunt en question avait le droit de déshériter ses enfants et que le fait d’exclure la part réservée n’était pas en soi contraire à l’ordre public international français[7].

[1]  « DROIT DES SUCCESSIONS : CE QUI CHANGE EN AOÛT 2015 » Paris Notaires, Chambre Des Notaires De Paris, 29 July 2015, www.paris.notaires.fr/actualites/droit-des-successions-ce-qui-change-en-aout-2015.

[2] “General Information – France.” European e-Justice Portal, 13 Feb. 2017,
e-justice.europa.eu/content_general_information-166-fr-maximizeMS_EJN-en.do?member=1.

[3] DROIT DES SUCCESSIONS : CE QUI CHANGE EN AOÛT 2015.” Paris Notaires, Chambre Des Notaires De Paris

[4] Proton, Agnes. “The European Regulation No. 650/2012 Related to International Successions .” America Bar Association, May 2016.
https://www.scribd.com/document/289649004/About-the-EU-Regulation-Related-to-International-and-Cross-Border-Successions

[5] Note that if the French law is elected, French inheritance tax rules will still apply to the devolution of any French estate. If a resident of New York State, the choice of New York law would be advisable since there is no estate tax to be paid for the surviving spouse.

[6] Buthiau, François. “Succession De Johnny Hallyday : Décrypter Les Enjeux Juridiques.” Village De La Justice, 15 Feb. 2018, https://www.village-justice.com/articles/succession-johnny-hallyday-decrypter-les-enjeux-juridiques,27228.html.

[7]  Cheytion, Justine. “Forced Heirship and French International Public Policy (Updated as of February 12, 2018).” Soulier AARPI, 12 Feb. 2018, www.soulier-avocats.com/en/forced-heirship-and-french-international-public-policy-updated-as-of-february-12-2018/.c

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations


Category : Juridique | Date : June 11th, 2019 | Author :

C’est un moment historique pour le droit civil français. Pour la première fois en deux siècles d’existence, le code civil français fait l’objet d’une réforme majeure axée sur le droit des contrats (le premier projet d’une autre réforme axée sur la responsabilité civile a récemment été publié par le ministère de la Justice à l’intention des universitaires et des praticiens). L’arrêté gouvernemental du 10 février 2016, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016, a apporté des modifications importantes à un code juridique considéré autrefois comme un modèle, mais critiqué depuis les années 1960 pour son obsolescence et son inadéquation croissante au monde moderne. Dans un contexte de concurrence entre les systèmes juridiques, alors que les parties à un contrat décident très souvent du droit applicable, le code civil a été rajeuni et clarifié. Plus important encore, une série de nouvelles dispositions, inspirées le plus souvent de la jurisprudence, visent à assurer une meilleure protection de la partie la plus faible. Ce nouvel ensemble de dispositions de protection apparaît à chaque étape de la vie d’un contrat, de la phase de négociation à l’exécution. Nous présenterons brièvement trois exemples de cette nouvelle loi des contrats.

  1. Négociations précontractuelles : le code civil de 1804, qui envisageait principalement des contrats simples, n’avait rien à dire sur la phase de négociation. Le nouveau régime consacre de nombreuses dispositions à cette étape importante et crée un devoir de divulgation imposé à chaque partie. Ce devoir existait déjà en droit de la consommation ; il est maintenant inclus dans le droit général des contrats. La loi ajoute également un élément important aux trois cas traditionnels de vice de consentement dans la conclusion d’un contrat (erreur, tromperie et violence), le concept de violence qui englobe désormais la violence économique. Une partie en « état de dépendance » ayant signé un contrat accordant des avantages « manifestement excessifs » à l’autre partie peut demander l’annulation du contrat.
  2. Une autre innovation importante est l’interdiction désormais explicite des clauses abusives. Cette interdiction ne s’applique toutefois que dans les contrats d’adhésion —la définition vague de ce type de contrats, généralement des contrats types conclus entre un professionnel et un consommateur, sera certainement contestée devant les tribunaux civils). Une clause abusive est une stipulation qui « crée un déséquilibre important entre les droits et les devoirs des parties ». Une telle stipulation est simplement effacée du contrat, sans provoquer son annulation.
  3. Un troisième exemple de la meilleure protection que la nouvelle loi tente de fournir à la partie la plus faible est l’admission en droit de la « doctrine de la frustration » (impossibilité d’exécution) concept emprunté à la common law, absent du code civil, longtemps rejeté par la jurisprudence depuis l’affaire célèbre de 1876 du Canal de Craponne (1876). Ce précédent établi de longue date avait conduit les praticiens à introduire une disposition prévoyant des conditions difficiles pour contrecarrer la rigidité de la loi. La nouvelle loi met fin à cette situation impraticable —et injuste. Elle prévoit désormais que si un changement imprévisible de circonstances rend la prestation excessivement lourde pour une partie qui n’a pas accepté un tel risque, cette partie peut demander à l’autre partie de renégocier le contrat. Si la partie adverse refuse de le faire, le contrat peut être révisé, voire annulé, sur décision d’un tribunal.

Sources

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004939&categorieLien=id
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-ordonnance-portant-reforme-du-droit-des-contrats-du-regime-general-et-de-preuve-des-obligati#.XPrBwohKibg
https://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/ordonnances/ordonnance-portant-reforme-du-droit-contrats-obligations.html